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  L'idée de peindre ne m'est pas venue par hasard : pour moi, la toile est un essai de saisir à la fois la réalité et la beauté, (en tous cas celle à laquelle je suis sensible).  Quand je parle de réalité, celle-ci est multiple et englobe bien plus que le concret, que ce qui est vu et perçu, même s’il s’agit d’une des composantes les plus essentielles de la réalité. L’ici et le maintenant , ce que je connais : les forêts de Savoie, les étangs des Dombes, les mers et les oceans froids, de Normandie , d'Irlande,  les nuits étoilées d’Islande et du nord, les cascades du Jura, sont réels et une source d’inspiration . Mais dans la réalité, il y a tout autant les grands mythes (dans lesquels j'inclus le Seigneur des Anneaux de Tolkien), la poésie ( Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire ) à condition qu’ils soient ressentis, qu’ils parlent et entrent en résonance avec une personne, avec les paysages auxquels cette personne est sensible, chacun dialoguant avec l’autre et avec la toile.

    Mon envie de peindre, au départ de dessiner, date de mon adolescence. Je m'en souviens très bien : c'était un été en Angleterre, où à la fois solitaire et libre, hors de mes heures de travail, je m'ennuyais vaguement mais agréablement, car j’habitais dans la campagne anglaise que j’avais immédiatement aimée . Je passais aussi des après midis à Londres : aimant la peinture, j'allais visiter les grands musées : le British Museum, la Tate Gallery, la National Gallery. J'achetais toutes les cartes postales des tableaux et de quelques œuvres antiques ( deux cavaliers d’une frise du Parthénon, une tête d’Apollon dite de Chatsworth, une statuette de Néron, une tête de déesse grecque en bronze) sans trop m’inquiéter qu'elles m'aient plu ou non. Je voulais en garder un souvenir, les posséder : j’aimais Rembrandt, Gainsborough (l’aristocratique Mrs Siddons avec son petit chien, j’adorais tout Turner, je n’aimais pas Constable, sa campagne et ses fermes  mais je les emportais tous. Je les classais ensuite, par thème, par siècle, par ordre alphabétique, pendant les longues soirées anglaises, car le dîner était à 18 h. Une passion de collection m'a pris, que j'ai toujours : mon monde, ma réalité se sont organisés , mes préférences se sont construites autour des tableaux que j'ai vus au fur et à mesure des années et des voyages, et de certains livres , pas plus d’une dizaine, dont : La Recherche du temps perdu (Marcel Proust), la trilogie des frontières ( Cormac Mac Carthy), les Corto Maltese ( Hugo Pratt). Les tableaux célèbres que je n'ai pas vus ne m'appartiennent pas, ne font pas partie de ma réalité. J’ai commencé à copier au dessin ces cartes postales, puis progressivement à peindre des aquarelles et des huiles, et le monde de la peinture est entré dans ma réalité, à moins que ce ne soit l’inverse.

   Au fil des années, la peinture a pris une place centrale dans ma vie : de quelqu’un qui vit d’un côté, et peint de l’autre, je suis devenu quelqu’un qui comprend et exprime ce qu’il voit et vit en le peignant.

 Pour moi la réalité est complexe, nuancée, belle, parfois plutôt tourmentée, parfois plutôt sereine, souvent les deux en même temps, et ainsi la toile doit l’être aussi.

  Elle peut être regardée et comprise à plusieurs niveaux. Mes toiles ne vont pas vers la simplification, mais au contraire vers la superposition des objets , des histoires et des impressions, laissant un grand espace au spectateur. Si l’on est joueur, il y a du test de  Rorschach, où chacun en fonction de ses fantasmes et de son histoire, voit un personnage ou un dessin différent dans des taches d'encre. C'est dans ce champ libre que la toile sera plus vivante. 

    Quand je commence une toile, je pars d’une idée, d’une histoire, je ne pars pas au hasard, même s’il y a beaucoup d’instinct. Il y a quand même une direction, je sais ce que je voudrais faire. Mais la toile résiste, elle aussi a sa réalité : elle m'oblige à composer avec son grain, ses dimensions. D’habitude, j’ai une bonne idée des couleurs, en revanche je me fait souvent surprendre par la fluidité des mélanges, créant des formes que je n’attendais pas et sur lesquelles j’improvise. La beauté de l’huile, c’est la beauté des couleurs , leur subtilité et leurs nuances, leur possibilités infinies en termes de mélange ; c’est la superposition plus ou moins transparente des couches, des lavis : la technique de l’huile reflète la belle complexité de la réalité.

J’aime la lenteur des temps de séchage, qui permet de reprendre, de réfléchir, calmement, voire de méditer . Romain Gary, à propos de quelqu’un qu’il trouvait très intelligent, disait : « il ne médite pas, il prémédite ». En ce qui me concerne, ce serait plutôt le contraire , Romain Gary me trouverait sans doute bête : je médite plutôt que prémédite.

je n'ai jamais été un peintre abstrait, la nature compte trop pour moi, elle est essentielle, source d’ exaltation et de vitalité. Je cherche à m’exprimer en tenant compte de la nature visible et de la nature intérieure, la mentale. Et ainsi, je mets des choses de moi en elle, les correspondances entre vie intérieure et vie extérieure se créent, les liens se font entre le monde mental des sensations, la poésie, les films de science fiction ou les universers de fantay, mondes parallèles inventés cousins du notre.

Je fais assez peu d’esquisses, car le dessin et la couleur sont inséparables,  aussi parce que la dimension de la toile, les nuances superposées des lavis, font partie intégrante de la composition.

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